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Inoubliables orages du 28 juin 2005

Deuxième partie : crépuscule et nuit

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Résumé de l'épisode précédent : après une fin d'après-midi déjà remarquable pour un amateur d'orages, je me retrouve, à la tombée du jour, tremblant de fébrilité alors que vient droit vers moi un orage hors du commun.

Tandis que le monstre approche, je multiplie les clichés en essayant de saisir les éclairs. Ces derniers sont nombreux, et par deux fois, d'immenses éclairs frappent la campagne à belle distance de l'orage lui-même, et dans le champ couvert par mon objectif. Mais, hélas, ces coups de foudre sont affreusement brefs et je n'ai pas suffisamment de réflexes pour réussir à les attraper. Et il en va de même pour les éclairs internuageux, pourtant beaucoup plus fréquents.

Les nombreux clichés obtenus à ce moment là me permettent de monter la petite animation suivante (.gif 198 ko) :

Les éclairs, exclusivement internuageux depuis ces dernières minutes, se manifestent pour la plupart dans ce secteur situé au nord et au nord-ouest du nuage-mur, en bordure du rideau de précipitations :

21:49 : Minute après minute, la structure de ce nuage-mur extraordinaire se révèle d'avantage :

Son aspect semble moins dense maintenant, la "jupe" ressemble d'avantage à un haillon ... avant de retrouver une nouvelle vigueur, alors que l'activité électrique devient endiablée ! :

Effervescence fulgurante ... Des éclairs parfois puissants illuminent le plafond nuageux juste au-dessus de moi, mais je sais qu'il est inutile de rentrer la tête dans les épaules. Malgré ce feux d'artifice électrique, le tonnerre reste relativement discret, quoique soutenu et presque continu il n'est pas tonitruant pour un sou. Cela rend l'ambiance encore plus extraordinaire, sans même évoquer les nombreuses fusées (prétendument) paragrêles qui, jaillissant des fermes environnantes, filent vers ces nuages apocalyptiques.

Je suis fasciné par cette "jupe" qui matérialise un vaste cône autour de la base de la cheminée d'alimentation. Le phénomène est à rapprocher de celui engendrant ces nuages orogéniques qui coiffent les sommets que balaie le vent : l'air ainsi contraint de s'élever se détent, donc se refroidit, et la vapeur d'eau en se condensant crée le nuage. Et c'est ce dernier qui permet de visualiser la puissance de ce qui est en jeu, en matérialisant par cette "jupe" étonnante cette énorme convergence, ce mäelstrom dantesque, ce gouffre assoiffé que constitue cet orage hors norme.

A 22:04 c'est l'apothéose :

( Image de la semaine - juillet 2005 )

Dans les instant qui suivent, le mésocyclone prend un aspect encore plus menaçant et compact, comme un fauve se rassemblant sur lui-même avant de bondir :

Je me demande vraiment ce que me réservent les minutes qui suivent ...

Vous préférez avec ou sans éclairs ? ...

Cet orage est un Dragon, j'ai photographié sa queue !

Certes, la situation est pour le moins distrayante, et il est plaisant de laisser son imagination prendre soin de peupler cette scène de créatures fabuleuses qui soient à la hauteur. Mais le traqueur d'orages doit savoir garder l'oeil ouvert, et ne pas relâcher sa vigilance ... Observez le coté droit de l'image ci-dessus est vous vous apercevrez que le rideau de précipitations est en train de devenir un véritable mur. Et, comme il se doit, je me trouve en plein sur son passage. Je frémis en imaginant les grêlons qui me sont peut-être promis dans les minutes qui viennent. Si leur taille s'accorde à la nature exceptionnelle de cet orage, ce pourrait être fâcheux pour la voiture que l'on a bien voulu me prêter pour cette chasse ... il ne s'agit pas de la rendre toute cabossée et sans une vitre intacte !

Allez encore un p'tit pano et il sera grand temps de déguerpir :

Voici un détail de cette image :

Un petit point lumineux, suivi d'une traînée, part à l'assaut du léviathan météorologique. Il s'agit de l'une des très nombreuses fusées paragrêles tiré ce soir là :

Cette fusée, tirée à proximité de la cheminée mais non dans celle-ci directement, a peut-être une efficacité relative, mais j'en doute ... Que dire alors de toutes celles que je vis partir dans la zone de précipitation ? Dérisoire, inutile, et non dépourvu de danger pour ceux qui les emploie !

Pour fuir la grêle (et sauver la carrosserie de la voiture - qui n'a jamais demandée à se retrouver dans des situations pareilles -), j'adopte une stratégie audacieuse : puisque la route de campagne s'y prête, je fonce en direction du nuage-mur pour me retrouver en-dessous !!

Si il y a bien un endroit où les grêlons seront absent, c'est sous cette ascendance monstrueuse. Il s'agit là d'un coup de poker que je ne me serais pas permis sans avoir attentivement observé l'évolution de cet orage. L'idée est également d'essayer d'aller rapidement au-delà du mésocyclone pour pouvoir ensuite me retourner et poursuivre l'observation, quitte à revenir sur mes pas pour suivre l'orage dans sa progression vers le nord-nord-est.

Je fonce alors plein sud tandis que des gouttes d'une taille prodigieuse maculent le pare-brise. Je nourris l'espoir de réussir à précéder le mur de pluie et de grêle, qui lui aussi semble gagner en largeur et s'étendre vers le sud. L'instant est intense, de nouvelles fusées jaillissent alors que devant moi, dans l'axe de la route, le nuage-mur prend l'allure d'un cauchemar atmosphérique qui m'accueille à bras ouverts.

Soudain, un calme extraordinaire se fait ! Ça y est, je suis sous la cheminée, le contraste est incroyable. Pas un souffle de vent, encore quelques grosses gouttes éparses alors que j'entends le bruit du déluge que j'ai laissé deux ou trois cents mètres derrière moi, et que les lambeaux nuageux qui maintenant me surplombent sont animés de mouvements turbulents. Dans ces conditions proprement hallucinantes, il est difficile de ne pas personnifier l'orage, de ne pas le prendre pour une espèce d'animal gigantesque, malin et terrifiant, et capable d'enfanter à tout instant quelque abomination atmosphérique.

C'est alors que le monstre me dévoile sa trompe hideuse :

Stupéfait, je pile devant ce tuba qui se contorsionne devant moi, juste dans l'axe de la route, plein sud ! Comme un défi ... Hélas ! Je n'ai pas le temps de me remettre du choc que l'appendice déjà se rétracte. C'est si rapide !

L'image ci-dessus est une reconstitution fidèle de ce que j'ai vu, réalisée à partir d'un cliché obtenu quelques secondes seulement après la disparition du tuba.

Mais regardez à droite : le rideau de précipitation n'est pas en reste, il s'étend vers le sud et je vais bien avoir droit à l'extrémité de celui-ci, dès que le nuage-mur se sera écarté. Vite ! Je reprends la route, mais en très peu de temps je suis atteint par les premiers grêlons. Je réussis à trouver un abris relatif derrière un cèdre du Liban. Mais si jamais le vent se renforce, je m'en éloignerai pour éviter les chutes de branches. Heureusement les rafales restent modérées, par contre la grêle prend de l'ampleur, le bruit devient impressionnant. Les plus gros grêlons font 12 à 15 mm de diamètre, mais j'apprendrai par la suite qu'à moins de trois kilomètres de ma position, ils ont atteint les trois centimètres, ouf !

Au bout de quinze minutes environ les précipitations s'estompent, je fais demi-tour pour vite retourner vers une crête de colline qui puisse m'offrir une vue dégagée en direction du nord. J'ai l'impression que l'orage s'éloigne plus vite qu'il n'est arrivé. A 22:38 j'obtiens cette vue au fisheye de la cellule déjà sur son déclin :

Voyez comme il n'y a plus de structure significative à la base du nuage; celui-ci est en train de s'effondrer en précipitations, et l'activité électrique conserve son caractère essentiellement internuageux. L'ex-cheminée d'alimentation, si vigoureuse il y a une demi-heure de ça, se trouve complétement à droite sur ce cliché, à peine esquissée, mais de nombreux éclairs (intre et extranuageux) l'illuminent encore,

 

Les coups de foudre que je peux observer sont probablement d'intenses positifs, comme en témoigne le canal quasi-rectiligne et non ramifié photographié ci-contre. La foudre semble tomber non loin du village de Montagnac-sur-Auvignon, situé sur les coteaux au sud-ouest d'Agen.

22:41 : l'orage est maintenant suffisamment distant pour que réapparaisse le halo de lumière de l'agglomération agenaise, qui diffuse une teinte orange dans la partie postérieure du noyau de précipitations. Du coté droit, Il est aisé de constater que l'instabilité est maintenant insuffisante pour permettre au nouveau bourgeonnement d'atteindre la tropopause et d'y former une nouvelle enclume. Notez la présence d'un coup de foudre distant à gauche, il s'agit probablement d'un autre positif.

Cet orage va réussir à conserver une activité électrique au cours de sa traversée du Lot-et-Garonne, mais il n'a plus grand chose à voir avec la folie météorologique qu'il m'a offert au crépuscule. Mais l'aventure ne s'arrête pas là ...

En direction de l'ouest, une nouvelle cellule (mon quatrième orage de la soirée !!) attire mon attention par ses clignotements frénétiques. Il ne semble pas s'écouler une paire de seconde sans que une ou plusieurs puissantes lueurs intranuageuses n'illuminent l'incroyable silhouette d'un autre nuage-mur (encore !) :

Ce dernier doit passer à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de ma position, et file vers le nord ou le nord-nord-est en "visant" la petite ville de Nérac. Sa partie antérieure est dotée d'une étonnante "lame" dont la pointe doit évoluer à moins de deux cents mètres du sol !

Difficile de réaliser un panorama avec ces éclairs qui produisent des illuminations non calibrées en température de couleur !

Pas de rotation pour ce nuage-mur ci, mais de nouveau je me trouve dans une situation privilégiée pour parfaitement l'observer "de profil". Il se comporte comme une écope démesurée, ornée d'une double "jupe" à l'avant, élément qui n'est pas sans me faire penser à l'avant d'un chasse-neige.

Les lumières de Nérac éclairent l'avant du nuage-mur, qui semble maintenant muni de griffes proéminentes. La partie supérieur est très turbulente. Il me fait penser à une locomotive à vapeur style far-west avec son pare-buffle à l'avant et ses nuées de fumées.

Ci-dessus une vue générale à 23:10. Toutes les précipitations se produisent au delà de Nérac, c'est-à-dire au nord-ouest du nuage-mur, ce qui ressemble à la situation de l'orage précédent.

Sept minutes plus tard, l'orage s'est suffisamment éloigné pour que je puisse distinguer le rebord de son enclume bien ronde. Comme souvent pour les orages en fin de vie, les coups de foudre se font rares et l'activité électrique se manifeste essentiellement sous forme intra- ou internuageuse. Les précipitations, assez intenses, se trouvent toutes dans la partie gauche de l'image. Sur l'image suivante, le nuage-mur se résume à bien peu de choses ! :

23:24 : l'orage s'étiole, mais un nouveau bourgeonnement, magnifiquement illuminé de l'intérieur par de précoces décharges intranuageuses, se développe sur son aile orientale :

L'éclair en bas à droite est produit par la cellule qui m'avait procuré tant de sensations fortes au début du crépuscule. Elle a poursuivit sa route vers le nord et doit se trouver, au moment de la prise de vue, au-dessus de la Dordogne. Mais elle ne délivre plus qu'une bien maigre activité électrique.

De retour chez moi vers minuit et demi, je n'allais pas encore dormir ! L'orage précédent a généré une nouvelle cellule à l'activité électrique soutenue. Elle passe en direction du nord, au-delà d'Agen, mais je suis arrivé à saturation !

Enfin, presque ...

Bien plus tard dans la nuit, sous la Grande Ourse indifférente, des orages isolés sillonaient encore la région, comme en témoigne ce cliché pris à trois heure moins dix du matin !

Bon, ça suffit comme ça, au lit maintenant !

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image de la semaine : l'orage absolu du 28 juin 2005

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