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Festival orageux

Supercellule et nuit d'orage en Gascogne - 25 mai 2010

Voici le récit de ce qui allait devenir une journée inoubliable parmi celles, déjà nombreuses, que j'ai consacré à la poursuite des orages. De l'émotion ! De l'inatendu ! Du grand spectacle !

Voici comment cela a commencé :

Au cours de l'après-midi, une cellule s'est formée sur la vallée de la Garonne du coté de Tonneis (Lot-et-Garonne). Ancré à ses racines convectives, elle restait immobile dans le flux de sud-ouest :

Surchargé de travail devant l'affluence des visiteurs (je suis guide touristique dans un château viticole), c'est à peine si je trouve le temps de jeter un coup d'oeil et de tirer le portrait de cet orage aguicheur. Dans l'air vibrant de chaleur, la persistance de ce pilier à la blancheur éclatante me met à rude épreuve : j'aimerais tant pouvoir foncer voir ce qu'il se passe en dessous !

Image sat de 17h locale : la flèche blanche pointe l'orage qui s'accroche au sud-ouest du Lot-et-Garonne. Son panache s'étend vers la Dordogne.

N'y tenant plus, je réussis - grâce à la compréhension de mes collègues de travail - à filer à 18h20. Mais au moment où je quitte le château, je m'aperçois que les cumulonimbus se sont multipliés et qu'ils se bousculent sur toute la moitié nord-ouest du ciel, matérialisant probablement une ligne de convergence orientée SW-NW.

Une heure plus tard, les cumulonimbus se multiplient de façon explosive, tout en étant scrupulusement alignés, matérialisant probablement une ligne de convergence dans un contexte préfrontal. Remarquez la zone dépourvue de nuage que couvrent les trois flèches : une grande partie du sud-ouest à bénéficié d'un ensoleillement important, et ces orages, plus tardifs que ceux concernant la moitié nord de la France, vont avoir à leur disposition une considérable réserve d'énergie, celle de ces plaines gasconnes surchauffées !

Que faire ? Où aller ? Je pensais filer vers Mézin (30 km NW) pour me rapprocher de cette belle cellule si parfaitement stationnaire, je m'aperçois qu'elle perd de sa vigueur au profit de cette ribambelle d'orage en gestation. Mais je repère des bases nuageuses particulièrement affriolantes en direction du sud-ouest. Je gagne les hauteurs à proximité de Caussens et me retrouve à 5 km à l'est de Condom. Saisis par l'allure que prennent les structures nuageuses, je m'arrête dès que s'offre un horizon dégagé en direction de l'ouest et du sud-ouest.

Le doute n'est, dès lors, plus permis : ceci n'est pas un orage banal :

Je suis captivé par cette base surbaissée. Malgré la distance, l'ascension précipitée de l'air à son extrémité est visible sans peine. Le monstre atmosphérique, en pleine croissance, et si avide d'air chaud qu'il en viendrai à têter le sol !

Vision ensorcelante que ce tentacule de grisaille, cette nuée abominable prête à ravager l'horizon alors qu'autour de moi les grillons stridulent avec insouciance. Mais leurs chants s'accompagnent déjà de ces grondement de tonnerre carveneux et continus. J'accorde de l'attention à l'expression sonore des orages, et dans le cas présent cela constitue l'indice supplémentaire qui me fait réaliser que je suis probablement en présence d'une supercellule.

Constatant que le relèvement de l'orage ne vari quasiment pas, j'en conclus qu'il vient droit sur moi. Pas question de bouger ! Je suis hypnotisé par ce qu'il se passe, et ma voiture âgée de vingt-deux ans ne craint plus la grêle...

La base surbaisée se ramasse sur-elle même en adoptant une allure plus compacte et plus puissante. Chaque seconde, des milliers de tonnes d'air sont englouties par me monstre ! J'imagine le panache bouillonant qui surplombe cette gueule avide, cette cohue de pluie glacée mêlée de grêlons en gestation, prête à se précipiter de ces entrailles obscures d'où me parvient le borborygme ininterrompu des éclairs intranuageux.

Une fois mis en route, ce type d'orage soulève sans vergogne la masse d'air stable de l'étage inférieur. L'appel d'air démentiel du mésocyclone force l'atmosphère environnante, à l'image d'une lame de bulldozer soulevant la terre pesante. Les flancs de l'orage se parent alors de "jupes" superposées, de mieux en mieux definies jusqu'à ébaucher une structure annulaire concentrique.

Ci-dessous, un coup d'oeil vers la frange septentrionnale du mésocyclone à chaque instant plus proche :

Voici une vue panoramique. Le spectacle me terrasse et je n'ai plus aucun doute quand à la situation idéale de mon point de vue par rapport au trajet de la bête.

Le coté oriental attire lui aussi mon attention :

Une sorte de vague en arc se forme à l'avant, trahissant l'extension de la zone d'influence de l'orage. Peut-être que ce phénomène présente quelque similitude avec la propagation des ondes de gravité ? En tout cas le tableau est inquiétant, et figure dans cette vidéo accélérée parmi les séquences montrant l'approche de cet orage hors du commun :

May 25, 2010 supercell from Pierre-Paul Feyte on Vimeo

 

Peu de kilomètres me séparent maintenant du coeur de l'orage. Les coteaux disparaissent les uns après les autres sous un rideau de précipitation. Ce dernier, après m'avoir donné pendant un temps la trompeuse impression qu'il était presque immobile, englouti maintenant le paysage à une allure accélérée.

Ci-dessous, cette animation en boucle mets en évidence la rotation à l'aplomb de l'axe du mésocyclone (dans le quart gauche de l'image) :

Encore d'un peu plus près :

Le coeur du méso se déstructure quelque peu, tandis que la foudre se manifeste à peu de distance au nord-ouest de ma position (image issue d'une séquence vidéo prise avec un objectif ultra-grand-angulaire - le 10-20 Sigma réglé à 10 mm -, donc l'éclair n'est pas si loin que ça !) :

19h53 : voici la pluie, avec ses gouttes énorme, puis la grêle :

Grêle sur les vignes from Pierre-Paul Feyte on Vimeo.

Je ramasse les grêlons, dont certains dépassent deux centimètres et demi. Malgré le passage de l'averse, la température reste suffisament élevée pour que leur fonte se produise rapidement. Je me dépêche d'en trouver dans les herbes du bas-coté de la route, mais ils diminuent déjà à vue d'oeil. Beaucoup affectent une forme assez aplatie, avec une légère dépression au centre pouvant évoquer un beignet. Je pose quelques grêlons de choix sur le capot de ma voiture pour les photographier de très près et mettre en évidence les alternances concentriques opaques et transparentes qu'ils présentent :

Pendant ce temps la supercellule, qui a repris entretemps une allure nettement plus bonhome, poursuis son chemin en direction du nord-ouest :

Je prends alors la route pour observer les dégats provoqués par la grêle sur la végétation. Voici une allée de platane à l'entrée de Caussens :

Deux kilomètres plus loin, dans un bois, de nombreuses feuilles jonchent la route tandis que des nappes de brouillard s'épaississent sans dépasser un mètre de hauteur. Il s'agit d'un brouillard de mélange formé par la condensation de la vapeur d'eau contenue dans l'air au contact de la couche brutalement refroidie à proximité du sol constellé de grêlons presque complétement fondus.

Situation identique dans un champs nu au sortir du bois. Il est vraiment singulier de rencontrer de telles nappes dans l'ambiance encore chaude d'une fin d'après-midi !

Je bondis d'une quinzaine de kilomètres en direction du nord. Chemin faisant, je constate peu de dégâts en chemin du coté de La Romieu, puis trouve un point de vue me permettant de contempler le départ de l'orage. Je tente, sans succés, d'attraper la foudre (photographiquement, bien sûr).

Briévement, un filament pouvant faire penser à un tuba se forme sous le plafond nuageux. Mais je n'y décèle aucune rotation, cela ressemble plutôt à une sorte de mini bande d'afflux.

Ensuite, je contemple une cellule isolée et bien plus modeste qui glisse sur la vallée du Gers :

May 25, 2010 - second storm from Pierre-Paul Feyte on Vimeo.

Alors qu'en direction du nord et du nord-ouest s'étalent de vastes enclumes festonées de mammas :

A l'est de ma position se manifestent les dernières velléités convectives de la cellule isolée :

Avec l'arrivée du crépuscule se révèlent de nombreux ébranlements lumineux en direction du sud. Le spectacle n'est pas terminé ! Je retourne près de La Romieu, puis du coté de Terraube pour saisir, d'une route de crête à une autre, les clichés qui suivent :

Je soupçonne (sans trop de conviction) une structure suspecte sous la base nuageuse sur le coté gauche de ce cliché. En voici une autre vue :

Nuage-mur ? Ebauche de mésocyclone ? Je ne pense pas. Il s'agit peut-être de l'extrémité ouest de l'arcus multicouche qui allait faire sévir sur le nord-est du Gers. Je suis mal placé pour saisir cet arcus qui allait faire une si vive impression à mon ami Thierry, mais j'arrive à deviner sa formation assez loin en direction du sud-est. Dommage que l'activité électrique ne soit pas suffisament soutenue pour illuminer davantage tout ça :

Au cours des deux heures qui suivent, ce sont de multiples cellules qui vont naître et s'éteindre. Les coups de foudre sont nombreux, mais la pluie s'invite souvent sur le théatre des opérations.

Quelques photos d'ambiance :

Foudre derrière le plateau de Marsolan.

Impacts multiples dans la partie postérieure d'un orage actif qui s'éloigne sur le Lot. La couleur des éclairs trahi leur distance, par l'effet de l'absorption atmosphérique (superposition de six clichés).

Une fois la base des cumulonimbus partie, le ciel se découvre et apparait l'immense bord circulaire de l'enclume du système multicellulaire (un MCS ?) qui vient de balayer une partie du sud-ouest. La promesse du retour du clair de lune et des étoiles me réjouit, car j'aime particulièrement le spectacle d'un orage associé au ciel astronomique.

Et justement, ça se réactive une dernière fois. Le clair de lune va progressivement inonder la campagne tandis qu'un véritable mur de cumulonimbus s'éloigne de moi. Voici quelques photos, puis la séquence accélérée issue des deux cent vingt-huit clichés (!) :

Et voici la séquence accélérée en guise de bouquet final :

Last storms - June 25, 2010 from Pierre-Paul Feyte on Vimeo.

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