UNE CONSTELLATION DISCRETE :

LE LIÈVRE (Lepus)

Pour inaugurer cette nouvelle rubrique qui explorera les coins plutôt délaissé du ciel, j'ai choisi la constellation du Lièvre.

Exactement au sud d'Orion, cette discrète constellation est souvent "oubliée" au profit de sa célèbre voisine. L'image ci-contre permet de la localiser, telle qu'elle se présente en milieu de soirée en janvier, plein sud. Ses 290 degrés carrés ne comportent aucun astre particulièrement brillant, mais le petit quadrilatère formé par les étoiles principales est facile à repérer, à distance égale de Rigel et de Sirius.

 

Un peu d'histoire ...

Le Lièvre est mentionné pour la première fois par Eudoxe de Cnide, au IVè siècle avant notre ère. Associée au chasseur Orion et précédant immédiatement le Grand Chien, il prend naturellement sa place dans la scène de chasse imaginé par les observateurs de la Grèce antique. Bien avant, les Égyptien y avait placé la Barque d'Osiris, ce qui allait de soi eu égard à la proximité de la constellation de l'Eridan, représentation céleste du Nil. Rien de tel pour les arabes, qui y virent plutôt "le trône du géant", autrement dit le trône d'Orion, et qui nous ont laissé les noms attribués aux deux plus brillantes étoiles du Lièvre : Arneb et Nihal. Ces noms signifient le Lièvre (ben tiens ! l'héritage grec n'était pas oublié...) et le dromadaire (allez savoir pourquoi !)

Voici une carte où vous pouvez, d'un clic, tout savoir - ou presque - sur les astres et objets que l'on peut découvrir dans cette petite partie du ciel d'hiver :

Étoiles principales

Alpha du Lièvre porte le nom de Arneb, mais elle fut aussi appelé Arsh. De magnitude 2.6, son modeste éclat blanc ou jaune très pâle ne donne pas à penser qu'il s'agit d'une géante distante de 1300 années-lumière, 12 300 fois plus lumineuse et 14 fois plus massive que notre Soleil ! Elle appartient à la classe spectrale F0 Ib (température de surface 7500°), et s'éloigne de nous à la vitesse de 24 kilomètres par seconde. Deux compagnons de onzième et douzième magnitude sont visibles à 35" et 92" de Arneb, mais il est très peu probable qu'il y ai un lien gravitationnel entre ces astres. Arneb est le point de départ idéal pour partir à la découverte du petit amas ouvert NGC 2017, en fait le système multiple h3780 (voir plus loin).

Bêta est également nommé Nihal, et atteint la magnitude 2.85. De classe spectrale G5 III, cette étoile brille comme 150 soleils et est distante de 159 années-lumière. A chaque seconde, elle se rapproche de nous de 13 kilomètres. Nihal est un exemple d'étoile double d'observation difficile en raison de la différence d'éclat existant entre les deux astres : elle possède en effet un compagnon de onzième magnitude distant de 2".5. Cet écartement est en théorie accessible à de modestes télescopes, mais ce couple est dans la pratique réservé à de gros instrument (200 mm ou plus), tant il est difficile d'apercevoir ce pâle flambeau de 11ème noyé dans la lueur de Nihal. La période de ce système serait de plusieurs siècles. Le compagnon, 15 fois moins lumineux que notre Soleil, présente parfois aux observateurs une teinte bleuâtre, très certainement due à un effet de contraste avec la délicate teinte jaune de la principale, qui présente une température de surface semblable à celle du Soleil.

Gamma, de magnitude 3.6, est distante de 23.2 années-lumière seulement. Il s'agit d'un bel exemple de système double à grande séparation (95") présentant un beau contraste de couleurs. La principale, étoile de la séquence principale, est trois fois plus lumineuse que le Soleil alors que son compagnon est quatre fois moins brillant que notre étoile, luisant à la magnitude 6.2. Comme c'est souvent le cas, les couleurs attribuées à cette paire d'étoiles varient en fonction des observateurs, mais le plus souvent la principale se voit dotée d'une couleur jaune tandis que la secondaire est parée d'une teinte rougeâtre. Un instrument de 50 mm de diamètre grossissant 20 fois est suffisant pour séparer ce couple. Le mouvement de ce système dans l'espace semble indiquer une certaine parenté avec celui animant Sirius.

Le Lièvre (illustration de Matteo Palmieri, "Città di Vita", XVè siècle).

Delta du Lièvre, à l'éclat jaune, est distante de 112 années-lumière; de magnitude 3.9, elle appartient à la classe spectrale G 8 III.

Epsilon est distante de 226 années-lumière, et possède l'éclat de 220 soleils; d'un éclat cuivrée, cette géante rouge est de classe K4 III. Respectueuse de sa catégorie spectrale, elle exhibe un volume conséquent : son diamètre pourrait contenir 53 fois celui du Soleil, pour une température de surface de 3 700° seulement.

Mu, à 184 années-lumière, brille comme 130 soleils. Dotée de 4 masses solaires, elle affiche une température de surface de 11 000°. Son éclat varie entre les magnitude 3 et 3.4.

17 du Lièvre mérite que l'astronome avide de physique stellaire déchaînée s'y attarde. Non pas que cette étoile soit un joyaux spectaculaire : l'observateur n'y verra qu'un astre solitaire de magnitude 5. Mais l'étude spectroscopique à révélé bien des choses à son sujet ... Notamment le fait que cette étoile, alternativement classée B9, A0 ou bien encore A2p + gM1, est entourée d'une enveloppe continuellement en expansionà la vitesse d'une soixantaine de km/s. De légers sursaut photométriques (0.07 magnitude), se produisant plusieurs fois par an, dénotent des épisodes d'activité au cours desquels l'étoile perd une partie de sa masse (de l'ordre du millionième de sa masse par ans, pour fixer les idées). 17 Lep, quatre fois et demi plus lourde que notre étoile, n'est pas seule : elle a pour compagnon une géante rouge de 1.4 masse solaire orbitant autour de la principale en 226 jours. Le volume considérable de la géante rouge (75 diamètres solaires) rend certainement possible le transfert de matière entre les deux composantes de ce système qui, à ce titre, présente des similitudes avec T Corona Borealis ou Z Andromeda, prototypes des étoiles symbiotiques. Il n'est pas exclu que cet astre ait produit de violent sursaut lumineux au cours de ces derniers milliers d'années, et cette "nova récurrente" soupçonnée pourrait peut-être un jour faire parler d'elle en atteignant une magnitude négative ...

Étoiles doubles

Outre Gamma du Lièvre, je vous recommande également les couples suivant :

  • Kappa : magnitudes 4.5 et 7.4, séparation 2".5; la différence d'éclat, assez forte, ne permettra d'observer la secondaire que si le grossissement et les conditions de stabilité atmosphérique sont suffisantes. Au télescope de 150, le compagnon est distinct. Pas de coloration spectaculaire.
  • S 476 : m 6.2 et 6.3, séparation de 40" : joli couple équilibré, facile à résoudre même avec les plus modeste instrument. Près de 800 années-lumière nous en sépare : à cette distance, les 40 secondes d'arc séparant les deux étoiles représente au minimum 0.15 années-lumière, soit près de 10 000 fois la distance Terre-Soleil !
  • h3752 Lep : m 5.5 et 6.7, sép. 3".2. Joli couple, au composantes jaune et bleu-verdâtre, suivi à 1' par un compagnon rougeâtre de 9ème magnitude. A ne pas manquer si vous observer M 79 : c'est juste à coté !
  • h3780 : ce système multiple forme le mini-amas ouvert (disons un astérisme) NGC 2017, facile à trouver en glissant 1.7° à l'est d'Arneb (alpha Leporis). Il y a sept composantes, d'éclats compris entre les magnitudes 7 et 10. Assez joli avec de faibles grossissements.
  • h3750 : m 5 et 9.5, sép. 4".1
Nom Asc. Droite
(hh mm ss.ss)
Déclinaison
(deg mm ss)
Mag. Séparation PA
S 470 05 12.5 -17 26 8.7, 8.6 47.3 278
STF 661 = Kappa 05 13.2 -12 56 4.5, 7.4 2.3 357
S 473 05 17.7 -15 12 6.7, 8.7 20.6 305
S 476 05 19.3 -18 30 6.2, 6.4 39.3 18
HJ 3750 =41 Lep 05 20.5 -21 14 4.7, 8.5 4.1 280
HJ 3752 05 21.8 -24 46 5.5, 6.7 3.5 94
HJ 3759 05 26.0 -19 41 5.8, 8.6 27 317
BU 320 05 28.3 -20 45 3.0, 7.5 2.3 346
HJ 3780 = NGC 2017
05 39.3 -17 50

6.3, 8.5

6.2, 8.4

6.4, 8.1

89.2

76.1

128.8

136

7

299

H 40 = Delta Lep 05 44.5 -22 26 3.8, 6.4 96.7 350
BU 94 05 49.6 -14 29 5.6, 9.0 2.4 166
S 504 05 58.5 -20 09 8.8, 8.8 3.7 69
ARG 12 06 05.3 -25 01 8.4, 8.7 4.6 296
           

(tableau Peoria Astronomical Society)


Étoiles variables

  • R du Lièvre : peut-être l'étoile la plus rouge du ciel ! Sa couleur rouge intense, évoquant souvent une braise incandescente posée sur le velours noir de l'espace, est particulièrement remarquable lorsque cette variable de type Mira est proche de son maximum, ce qui arrive tout les 432 jours. Elle fut observée pour la première fois par J.R. Hind à Londres en octobre 1845; il la baptisa "Crimson Star" (l'étoile cramoisie), surnom toujours en usage aujourd'hui. Sa couleur remarquable rend poète les observateurs, qui n'hésitent pas à parler de goutte de sang chatoyante ou de rubis aux reflets profonds. Varie entre les magnitudes 5.9 et 10.5, c'est-à-dire d'un facteur 100. Avec sa température superficielle parmi les plus basses (moins de 2 600° Kelvin), elle présente de très intenses raies du carbone dans son spectre. Sa distance serait de 1500 années-lumière.
  • T Lep : Mira, m 7.4-13.5 en 368 jours, située à 30' au nord ouest de Epsilon.
  • S Lep : semi-régulière, m 6-7.6 en 90 jours environ.

Soif de variables ? Ce tableau vous comblera !

GCVS ID Asc. Droite
(hh mm ss.ss)
Déclinaison
(deg mm ss)
Type de Variable Mag. Min Mag. Max
S Lep 6:3:41.9 -24:11:23 SRB 7.58 6
RX Lep 5:9:2.7 -11:54:36 SRB 7.4 5
RY Lep 5:46:0.8 -20:2:22 EA 9.1 8.2
RZ Lep 5:16:39.2 -22:15:48 SRB 8.44 8.33
SS Lep 6:2:45.2 -16:28:47 ZAND 5.06 4.82
SW Lep 5:14:45.8 -24:38:41 LB 10 9.5
SZ Lep 5:33:46 -25:46:9 LB: 7.93 7.4
TU Lep 5:4:5.4 -14:45:45 ACV 0.105 7.07
TW Lep 5:38:30.5 -20:19:24 RS: 0.32 7
TX Lep 5:17:6.6 -18:33:37 ACV 0.04 6.54
UU Lep 5:12:28.9 -26:15:50 RS 7.02 6.91
UV Lep 6:9:6.9 -15:46:49 ACVO 0.01 6.77
Mu Lep 5:10:41 -16:15:48 ACV 3.41 2.97
           

(tableau Peoria Astronomical Society)


Ciel profond

M 79 comme je ne l'ai jamais vu !

M 79 : (= NGC 1904)

Cet amas globulaire ne se présente pas sous son meilleur jour sous nos latitudes ! Ne s'élevant jamais bien haut au-dessus de l'horizon méridional au long des nuits d'hiver, il est souvent noyé dans les brumes, sans parler de la pollution lumineuse ... Situé à 42 000 années-lumière, cet amas atteint la magnitude 8.4 pour un diamètre de l'ordre de 8' (soit une centaine d'a.-l. de diamètre réel). Il avoisine la luminosité de 90 000 soleils. Sa particularité est de se trouver dans une région du ciel presque diamétralement opposé au centre galactique, contrairement à nombre d'amas globulaires ! Il comporte en outre très peu d'étoiles variables, alors que plus de 200 ont été détectées dans son cousin M 3.

 

M 79 est assez facile à repérer, en prolongeant un peu plus d'une fois vers le sud le segment Arneb-Nihal. Mais, même s'il est assez facilement visible (il est évident aux jumelles 15 x 80), la découverte de cet amas globulaire peu se révéler assez décevante avec de petits instruments, même dans de bonnes conditions. Un télescope de 200 mm de permet pas d'apercevoir les étoiles qui le constituent. Mais son observation est décrite comme étant spectaculaire avec un instrument d'observatoire : Herschell le décrivait comme un amas assez étendu, extrêmement riche et compact, bien résolu. M 79 à été découvert par Méchain le 26 octobre 1780, et Charles Messier l'observa le 17 décembre suivant. Ce dernier le décrivit comme "une belle nébuleuse, assez diffuse et au centre brillant, trouvée à partir de l'étoile epsilon du Lièvre".

(Ne manquez pas de jeter un coup d'oeil à la jolie étoile double 41 du Lièvre, juste à 35' à l'ouest-sud-ouest de M 79).


IC 418 : nébuleuse planétaire de magnitude 8. Ses petites dimensions (14" x 11") lui confère un aspect stellaire aux faibles grossissements, où elle révèle parfois une étonnante teinte rougeâtre aux observateur, y compris avec des instruments de 10 cm de diamètre ! Un grossissement de 100 fois permet de la deviner comme un petit disque bleuâtre présentant une légère ellipticité.


NGC 2017 : il s'agit d'un minuscule amas ouvert, tout simplement constitué par les membres du système stellaire multiple h 3780. En fait d'amas, l'on ferait mieux de parler d'astérisme, néanmoins assez plaisant à regarder à faible grossissement avec un oculaire à grand champ. 1300 années-lumière nous en séparent.

NGC 1964 : galaxie spirale de magnitude 10.9, dim. 5' x 1'. Cette galaxie est facile à repérer à 1°15' au sud-est de Nihal. Ses contours sont assez indécis, mais l'allongement prononcé est déjà bien perceptible au T150.


NGC 2139 : galaxie spirale de magnitude 11.9, dim. 2' x 1.5'. Objet faible au T150, sans condensation centrale apparente. Peu être repérée en prolongeant le segment Nihal - Gamma vers l'est.

   

Bibliographie :

  • Burnham's Celestial Handbook, Volume 2, Robert Burnham Jr., Dover Ed.
  • Étoile par étoile, Piero Bianucci, Bordas.
  • Astronomie du Ciel Profond, Serge Brunier, Dunod.
  • Revue des Constellations, R. Sagot & J. Texereau, Société Astronomique de France.
  • Handbuch der Sternbilder, Hans Vehrenberg & Dieter Blank, Treugesell-Verlag.
  • Sky Atlas 2000.0, Wil Tirion, Sky Publishing Corporation & Cambridge University Press.
  • Atlas of Deep-Sky Splendors, Hans Vehrenberg, Treugesell-Verlag.

 

"L'Etoile Cramoisie" de Hind Nébuleuse planétaire IC 418 Kappa Leporis NGC 1964 Amas globulaire Messier 79 41 Leporis Gamma Leporis Arneb Nihal NGC 2139 variable T Leporis variable S Leporis 17 Leporis Astérisme NGC 2017 = h 3780 S 476 Mu Leporis h 3750